Littérature
Jeudi polar: 2046, quand la police traquera le mauvais goût.
Avec «Sens interdits», Chantal Pelletier nous transporte dans le futur aux côtés de policiers alimentaires chargés de drôles d’enquêtes.
Jeudi polar: 2046, quand la police traquera le mauvais goût.
Avec «Sens interdits», Chantal Pelletier nous transporte dans le futur aux côtés de policiers alimentaires chargés de drôles d’enquêtes.
Le monde est si flippant ces temps-ci que son avenir apparaît comme un champ d’investigation idéal pour les auteurs de polars. Noir, ils le voient noir, avec quelques espaces de liberté que certains tentent désespérément de préserver en payant parfois le prix fort. Dans cette nouvelle Série Noire de Chantal Pelletier, nous sommes en 2046, en Provence. La vie quotidienne est contrôlée à chaque instant et dans tous les domaines : temps d’écran, empreinte carbone, carnets d’approvisionnement en nourriture car même vos menus sont surveillés, pas question d’abuser du gras, du sel, du sucre, bref de tout ce qui est bon. Et quand vous dérogez à la règle et que vous vous faites prendre, vous vous retrouvez le temps de le dire en stages de récupération de points de permis de table, voire en maison de redressement alimentaire.
Gavée à mort
Pour contrôler tout ça, l’Etat a mis en place des «policiers alimentaires». Ce sont eux, les héros de Chantal Pelletier. La policière Anna Janvier a parfois bien du mal à faire son métier. Faut dire que ce n’est pas drôle de se retrouver enfermé dans un centre de redressement. «Concentrés sur le repas, les condamnés ne produisaient pas le moindre son en mastiquant, en buvant leur tisane, en maniant leur cuillère. Personne pour se taper sur les cuisses, en sortir une bien bonne, lever son verre en gueulant “Vive la sociale” ou “Mort aux vaches !”. Interdire les échanges au cours des repas était pour Anna la pire des punitions. Deviser et déguster tenaient du même royaume, celui de la bouche. Commenter ce qu’on mangeait, ce qu’on avait mangé, ce qu’on allait manger était la moindre des politesses. Ici, pas de “merci, s’il vous plaît, je vous en prie”. Responsable de son appétit, conscient de sa mesure, seul connaisseur de son estomac, chaque convive, autocentré, se servait lui-même et respectait un «chacun pour soi» de table. […] On arrivait avec trois bols propres empilés dans sa serviette de lin et on repartait avec trois bols propres empilés dans sa serviette de lin. Pas le moindre reste. On faisait sa vaisselle à table, on ne gaspillait ni la nourriture, ni la flotte, ni son temps.»
Ce que «la Janvier», comme Pelletier l’appelle, ne sait pas, c’est que sa vie va changer lorsqu’elle va être chargée, avec son collègue Ferdinand Pierraud, d’enquêter sur le meurtre d’une femme obèse retrouvée ligotée nue à une chaise devant un festin à l’ancienne, gavée à mort.
Chantal Pelletier a une façon unique de parler de la nourriture, de ses épices et de ses fumets. Après Nos derniers festins, publié en 2019 à la Série Noire, elle poursuit dans la veine de la dystopie noire un peu potache car il faut beaucoup d’humour pour supporter cet avenir sombre qu’elle nous prédit, l’humour et aussi un style aussi goûteux et gouleyant que les mets dont ses personnages rêvent en secret.
Chantal Pelletier a une façon unique de parler de la nourriture, de ses épices et de ses fumets. Après Nos derniers festins, publié en 2019 à la Série Noire, elle poursuit dans la veine de la dystopie noire un peu potache car il faut beaucoup d’humour pour supporter cet avenir sombre qu’elle nous prédit, l’humour et aussi un style aussi goûteux et gouleyant que les mets dont ses personnages rêvent en secret.
Alexandra Schwartzbrod